Les régions de communications racinaires 本輸穴 běn shū xué
- Jason Iotti
- 31 oct.
- 14 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours
Le corps humain, un écosytème résonnant
La médecine chinoise, formalisée dans le 黃帝內經 (Huángdì Nèijīng), s’est structurée de la période des Royaumes combattants (戰國 - zhànguó) à la dynastie des Han (漢朝 - hàncháo). La conception du corps humain, telle qu’elle était perçue déjà à cette époque, résulte de la convergence de deux perspectives : l’anatomie (donc la dissection) et la conception du corps comme une résonance des modèles d’organisation Ciel/Terre. Bien que peu connue du monde occidental, la nomenclature illustrant la seconde perspective est particulièrement prévalante dans le domaine de la médecine chinoise. Des termes tels que 脈 (mài), 經(jīng), 絡 (luò), 本 (běn), ou encore 標 (biāo), sont quelques exemples qui illustrent l’utilisation de termes fracto-holographique dans la langue chinoise.
La pensée moderne tend à concevoir le monde comme une somme d’éléments distincts, de phénomènes isolés et de détails mesurables. Cette représentation fragmentaire du réel, héritée du rationalisme scientifique et du paradigme mécaniste, a profondément transformé notre rapport au vivant. Dans le Nèijīng, l’univers est conceptualisé comme un système complexe de schémas de résonance interdépendants, vibrants simultanément au sein d’un vaste réseau d’interactions harmoniques. Les cieux n’exercent pas une influence directe sur la Terre, mais génèrent plutôt des configurations complexes de vibrations subtiles qui, par un principe de résonance sympathique 感應 (gǎn yìng)¹, trouvent leur écho dans les structures terrestres. L’univers y est ainsi décrit comme un véritable paysage vibratoire, où chaque phénomène, qu’il soit céleste, terrestre ou humain, participe d’une même orchestration cosmique. Cette conception est exprimée dans le Nèijīng à travers un lexique emprunté à la musique, soulignant l’idée que la santé et l’ordre du monde relèvent avant tout d’une justesse de ton et d’une harmonie des résonances.
SW5. 帝⽈五藏應四時各有收受乎
dì yuē wǔ zàng yìng sì shí gè yǒu shōu shòu hū
[L’] Empereur dit, “[Quand les] cinq zàng [organes] répondent aux (yìng) quatre saisons, [quelles sont les qualités] que chacun reçoivent ?
SW5. 歧伯⽈有東⽅青⾊⼊通於肝…
qí bó yuē yǒu dōng fāng qīng sè rù tōng yú gān…
Qíbó dit, “[La] direction Est [et la] couleur bleu-verte (qīng) entre [et] communique (tōng) avec [le] foie [organe] …
SW5. 其應四時上為歲星
qí yìng sì shí shàng wéi suì xīng
[Sur Terre, ils] correspondent (yìng) [au] quatre saisons; au-dessus [ils correspondent à la ] planète Jupiter.
SW66. 故在天為氣在地成形
gù zài tiān wéi qì zài dì chéng xíng
Ainsi, dans [les] cieux [il y a les modèles indiscernable] du qì; sur terre [il y a] l’achèvement des formes (xíng) [discernables].
SW66. 形氣相感⽽化⽣萬物矣
xíng qì xiāng gǎn ér huà shēng wàn wù yǐ
Les formes (xíng) [discernables] et [les modèles indiscernables du] qì résonnent (gǎn) mutuellement [et par ces] transformations (huà), [les] dix milles choses émergent.
En outre, la formation du corps humain, tel qu’il se présente sous sa forme d’apparence complexe, est la résultante d’une réponse (應 yìng)² à la musique céleste³ (感 gǎn). Cette musique, produite par les mouvement des corps célestes, génère des rythmes (ou respirations) naturelles : circadien, lunaison, saisons … etc. La nature terrestre se structure alors en réponse à ces respirations célestes en produisant une topographie spécifique, incluant des vallées, montagnes, cavernes … etc au travers desquelles des motifs de grainage⁴ - 理 (lǐ) - se créent. Ces motifs ont pour objectif de favoriser la circulation de l’eau, non seulement dans la nature, mais également dans les organismes vivants. Dans la nature, ces motifs de grain sont appelés « rives » ou « canaux » ; dans le corps, ils sont simplement appelés « canaux ». Dans le langage des formes propres à la conception de la nature, ces mouvements de circulation de l’eau se déploient selon des motifs à la fois axiaux (經 jīng) et radiaux (絡 luò). Dans le corps humain, cette dynamique engendre l’architecture tridimensionnelle complexe des plans tissulaires, où se manifeste l’organisation vivante du mouvement et de la circulation. Dans le Nèijīng, la nature ordonne ces formes selon une logique de tissage : les motifs axiaux (jīng 經), assimilables aux fils verticaux de la chaîne, confèrent structure et orientation à l’ensemble, guidés par la trajectoire solaire. Les motifs collatéraux ou radiaux (luò 絡), comparables aux fils de trame, viennent ensuite relier ces axes, constituant ainsi le réseau de correspondances transversales qui fonde l’organisation du vivant.
Au sein du corps humain, certains motifs de grainages constituent des voies de circulation sanguine, tandis que d’autres ne servent que de structures de soutien, sans flux interne. Le Nèijīng qualifie les premiers de « rivières des canaux » ou « rivières axiales » (jīng mài 經脈), employant ainsi une métaphore fluviale pour illustrer l’idée que le sang circule dans le corps comme l’eau à travers un paysage, suivant les lignes naturelles de sa topographie interne. Les « rivières axiales » transportent ainsi le sang dans les canaux principaux du corps, le tout dans une configuration spatiale longitudinale (d’où la traduction, encore malheureusement utilisée, de « méridien »). Ces schémas se complètent de motifs collatéraux produisant une géométrie réticulaire⁵ - luò mài 絡脈 - que l’on nomme généralement « vaisseaux collatéraux ». Ce réseaux, qui parcourt l’organisme, permet ainsi la diffusion du yíng 营 (l’aspect nutritif du sang et de diffusion) maintenant ainsi la cohérence (shén míng 神明⁶) des « écosystèmes » tissulaires s’organisant autour de ces voies.
SW10. 人有大谷十二分小谿三百五十四名少十二俞
rén yǒu dà gǔ shí èr fēn xiǎo xī sān bǎi wǔ shí sì míng shǎo shí èr yú
Les êtres humains possèdent de larges vallées (dàgǔ), douze divisions (shièrfén), de petits ruisseaux [de montagnes] (xiǎoxí), [et] 354 [cavernes xué] nommées - n’incluant pas (les) 12 [régions de transports] nommées yú.
Des racines et des branches
La représentation hydrologique précédemment décrite permet de saisir que le jīng 經 ne constitue pas un simple conduit linéaire, mais un écosystème fonctionnel, un ensemble dynamique où convergent les mouvements du sang, des liquides et les échanges métaboliques. Le Dr Edward Neal qualifie ces structures non pas de « canaux », mais de « bassin versant », établissant ainsi un parallèle avec un environnement vivant en interaction avec les flux.
Le bassin versant doit donc être appréhendé comme une entité écologique intégrée et dynamique, au sein de laquelle chaque composante contribue à l’équilibre global du système. Toute modification, même circonscrite, d’un de ses éléments constitutifs — qu’il s’agisse de sa source, de ses affluents ou de ses zones d’écoulement — entraîne inévitablement des répercussions systémiques sur l’ensemble de sa dynamique interne. En médecine chinoise, et plus particulièrement dans l’étude de l’acupuncture, nous étudions les différents éléments de chacun des 12 bassins versants afin de pouvoir l’analyser et le considérer comme un système global :
• Racines directionnelles (藏 zàng)
• Dépôts de transmission (府 fǔ)
• Mouvements solaires primaires
• Quantités relatives de sang et de Qì
• Racines primaires (本 běn)
• Racines saisonnières secondaires (根 gēn)
• Régions de la cime (標 biāo)
• Régions de chaume (結 jié)
• Couches externes et internes (表裏 biǎolǐ)
• Rivières des canaux principaux (經脈 jīngmài)
• Défluents principaux (別 bié)
• Nappes phréatiques profondes (正 zhèng)
• Tendons des canaux (經筋 jīngjīn)
• Zones de communication des racines (本輸 běnshū)
• Cavernes superficielles (穴 xué)
• Schémas d’expiration (終 zhōng)
Au niveau de nos plans tissulaires anatomiques, les organes internes représentent les cinq racines directionnelles (wǔ xíng 五行) de notre corps. Les rivières des canaux principaux (經脈 jīng mài) correspondent, quand à elles, aux branches et rameaux d’un arbre. À l’instar des racines d’une plante influençant la croissance, la vitalité et la fonction des branches, les organes régulent la circulation sanguine à travers l’organisme. De manière réciproque, les besoins et les contraintes des vaisseaux et tissus périphériques, modulant la fonction organique, engendrent une interaction bidirectionnelle. Cette analogie illustre que la physiologie humaine doit être appréhendée comme un système intégré, où chaque organe et chaque vaisseau sanguin, en particulier les rivières des canaux principaux (經脈 jīng mài), participe à la régulation et à la vitalité de l’ensemble, et où l’homéostasie repose sur l’équilibre et la coordination de ces interactions.
Les régions de communications racinaires, zones d’expressions de la respiration des Zàng
LS44. 歧伯曰人有五藏
qí bó yuē rén yǒu wǔ zàng
Qíbó dit, « [Les] êtres humains possèdent 5 [organes] zàng.
LS44. 五藏有五變
wǔ zàng yǒu wǔ biàn
[Chacun des] cinq [organes] zàng possèdent cinq transformations (biàn) [saisonnières].
LS44. 五變有五輸
wǔ biàn yǒu wǔ shū
[Les] cinq transformations (biàn) [saisonnières] ont [chacune] cinq [régions à l’intérieur des quatre barrières de] transbordements/communications (shū).
LS44. 故五五二十五輸以應五時
gù wǔ wǔ èr shí wǔ shū yǐ yīng wǔ shí
Ainsi, cinq [fois] cinq [font] vingt-cinq shū [zones de transbordement/communications au total ; celles-ci résonnent] avec les cinq saisons (shí) [de l’année]. »
Comme évoqué dans ce passage du Líng Shū au chapitre 44, les « cinq racines directionnelles » possèdent, chacune, cinq régions 本輸běnshū, traduit par « transbordement racinaire » ou « communication racinaire » par le Dr Edward Neal. Elles communiquent avec les différentes phases du souffle saisonnier des organes zàng associés. Ces cinq régions de communication racinaire (本輸 běnshū) sont situées à l’intérieur des quatre barrières, sur les rivières des canaux principaux (經脈 jīng mài), autrement dit, dans les branches de l'organisme (périphérie du corps):
Les régions běnshū les plus distales communiquent toujours avec la phase nord/hivernale de leur organe zàng associé ; ici, le sang circule comme l’eau dans un puits (jǐng).
Les régions běnshū immédiatement plus proximales communiquent toujours avec la phase est/printanière de leur organe zàng associé ; ici, le sang circule comme l’eau s’écoulant dans de petits ruisseaux (xíng).
Les régions běnshū suivantes, situées encore plus près du centre, communiquent toujours avec la phase sud/estivale de leur organe zàng associé ; ici, le sang s’écoule et s’accumule comme l’eau des grands fleuves, et communique avec la surface (shù).
Les régions běnshū suivantes communiquent toujours avec la phase centrale/longue saison d’été de leur organe zàng associé ; ici, le sang circule en trajectoires rectilignes (jīng).
Enfin, toutes les régions běnshū les plus proximales communiquent avec la phase ouest/automnale de leur organe zàng associé ; ici, le sang se réunit et se confond (hé) avec celui des autres courants de la région.
Cette correspondance avec les wǔ xíng 五行 n’est, je le sais, pas celle qui prévaut dans la majorité des écoles modernes de la médecine chinoise. En effet, elle trouve son origine dans une interprétation du Huángdì Bāshíyī Nànjīng — plus couramment désigné sous le nom de Nànjīng — laquelle, selon les écoles, serait soit le résultat d’une lecture erronée du Líng Shū, soit le témoignage d’une école médicale distincte, développée parallèlement ou postérieurement au Huángdì Nèijīng.
Toutefois, remettre en question cette construction doctrinale aujourd’hui dominante serait une difficulté pour la plupart des praticiens et reviendrait à reconsidérer les fondements théoriques de plusieurs courants contemporains d’acupuncture, dont l’architecture conceptuelle repose sur une compréhension particulière des cinq régions běnshū 本輸, c’est-à-dire celle décrite dans le Nànjīng :
NJ64. 六十四難曰
liù shí sì nán yuē
La 64ᵉ difficulté dit :
NJ64. 十變又言陰井木
shí biàn yòu yán yīn jĭng mù
Parlant de nouveau [des] dix biàn [transformations], les yīn jǐng [zones de puits] sont bois.
NJ64. 陽井金
yáng jǐng jīn
[Les] yáng jǐng [zones de puits] sont métal.
NJ64. 陰滎火
yīn yíng huŏ
[Les] yīn yíng [zones de ruisseaux] sont feu.
NJ64. 陽滎水
yáng yíng shuĭ
[Les] yáng yíng [zones de ruisseaux] sont eau.
NJ64. 陰俞土
yīn yú tŭ
[Les] yīn yú [zones de communication] sont terre.
NJ64. 陽俞木
yáng yú mù
[Les] yáng yú [zones de communication] sont bois.
NJ64. 陰經金
yīn jīng jīn
[Les] yīn jīng [zones de canal] sont métal.
NJ64. 陽經火
yáng jīng huŏ
[Les] yáng jīng [zones de canal] sont feu.
NJ64. 陰合水
yīn hé shuĭ
[Les] yīn hé [zones de convergence] sont eau.
NJ64. 陽合土
yáng hé tŭ
[Les] yáng hé [zones de convergence] sont terre.
NJ64. 陰陽皆不同
yīn yáng jiē bù tóng
[Les] différentes manifestations du yīn [et du] yáng [ne sont] pas les mêmes.
NJ64. 其意何也
qí yì hé yĕ
Quelle est la] signification de ceci ?
NJ64. 然是剛柔之事也
rán shì gāng róu zhī shì yĕ
Réponse : Ceci est [une question de] solidité (gāng) et de souplesse (róu).
NJ64. 陰井乙木
yīn jĭng yǐ mù
[Le] yīn jǐng [zone de puits] est bois yǐ (yīn).
NJ64. 陽井庚金
yáng jǐng gēng jīn
[Le] yáng jǐng [zone de puits] est métal gēng (yáng).
NJ64. 陽井庚庚者乙之剛也
yáng jǐng gēng gēng zhĕ yǐ zhī gāng yĕ
[En ce qui concerne le] yáng jǐng [puits] gēng [métal yáng], gēng est la solidité [du bois yǐ (yīn)].
NJ64. 陰井乙乙者庚之柔也
yīn jǐng yǐ yǐ zhě gēng zhī róu yě
[En ce qui concerne le] yīn jǐng [puits], bois yǐ (yīn), yǐ est l’aspect souple [du métal gēng (yáng)].
NJ64. 乙為木故言陰井木也
yĭ wéi mù gù yán yīn jĭng mù yĕ
Yǐ est [bois yīn], ainsi [il est] dit que les yīn jǐng [zones de puits] sont bois.
NJ64. 庚為金故言陽井金也
gēng wéi jīn gù yán yáng jĭng jīn yĕ
Gēng est [métal yáng], ainsi [il est] dit que les yáng jǐng [zones de puits] sont métal.
NJ64. 餘皆倣此
yú jiē făng cĭ
[Les] autres suivent [le] même ordre.
La confusion moderne repose sur l’interprétation erronée de seulement trois caractères d’un passage du Líng Shū chapitre 2:
LS2. 肺出於少商
fèi chū yú shǎo shāng
[Les] poumons (fèi) émergent (chū) [au niveau des] shǎoshāng.
LS2. 少商者手大指端內側也
shǎo shāng zhě shǒu dà zhǐ duān nèi cè yě
[Les] shǎoshāng [se situent sur] la face interne (cè) [des] extrémités [des] pouces (dàzhǐ).
LS2. 為井/木
wéi jǐng/mù
[Ici, les] canaux forment (wéi) des puits terminaux (jǐng) [et les rivières s’élèvent selon le motif de la croissance des plantes et des] arbres (mù).
Conformément à la difficulté 64 du Nànjīng, un ordre hiérarchique spécifique existe entre les wǔ xíng et les régions de communications racinaires 本輸 (běnshū), lequel diffère de celui décrit dans le Líng Shū. Cette divergence résulte vraisemblablement d’une confusion entre les passages 為井/木 et 為井/金. Ces passages décrivent en réalité la direction d’écoulement des rivières des canaux principaux (經脈, jīng mài). Ainsi, une direction ascendante 木 (bois) des rivières des canaux principaux (經脈, jīng mài) est associée aux bassins versants yin (tàiyīn, shàoyīn, juéyīn), tandis qu’une direction descendante 金 (métal) est corrélée aux bassins versants yang (tàiyáng, shàoyáng, yángmíng).
En réalité, l’association des cinq régions de communications racinaires 本輸 běnshū avec les wǔ xíng 五行 décrite dans le chapitre 44 du Líng Shū révèle une relation étroite entre la réalité anatomique des rivières des canaux principaux (經脈 jīng mài) et la respiration yin yang.

LS44. 黃帝曰以主五輸奈何
huáng dì yuē yĭ zhŭ wŭ shū nài hé
[L’] Empereur Jaune dit : « Comment [les] cinq [régions de] communication (shū) [racinaire du corps] gouvernent-elles (zhŭ) [les différentes saisons des organes internes] ? »
LS44. 藏主冬冬刺井
zàng zhŭ dōng dōng cì jĭng
[Qíbó répondit : « Situés en profondeur dans le corps, les] zàng [organes] gouvernent (zhŭ) [la] saison d’hiver ; [en] hiver, on pique [les régions du] puits (jĭng) [du Nord]. »
LS44. 色主春春刺滎
sè zhŭ chūn chūn cì xíng
[L’apparition des] couleurs (sè) gouverne (zhŭ) [la] saison du printemps ; [au] printemps, on pique [les petites] rivières (xíng).
LS44. 時主夏夏刺輸
shí zhŭ xià xià cì shū
[L’]expression saisonnière (shí) gouverne (zhŭ) [la] saison d’été ; [en] été, on pique [les région] de communication (shū).
LS44. 音主長夏長夏刺經
yīn zhŭ cháng xià cháng xià cì jīng
Les sons (yīn) gouvernent (zhŭ) l’été prolongé (cháng xià) ; [durant l’] été prolongé, on pique [les régions] axiales (jīng).
LS44. 味主秋秋刺合
wèi zhŭ qiū qiū cì hé
[La maturation des] saveurs (wèi) gouverne (zhŭ) [la] saison d’automne ; [en] automne, on pique [les région de] réunion (hé).
LS44. 是謂五變以主五輸
shì wèi wǔ biàn yǐ zhǔ wǔ shū
Ceci est [ce qu’on appelle les] cinq transformations (biàn) [saisonnières qui] gouvernent (zhŭ) [les] cinq [régions racinaires] de communication (shū).
Comme évoqué dans le chapitre 44 du Líng Shū, la physiologie des organes zàng est étroitement corrélée à la circulation correcte dans les rivières des canaux principaux (經脈 jīng mài) et en particulier dans les 5 régions de communications racinaires 本輸 běnshū.
Révision de la physiologie des branches afin de rétablir l’équilibre des racines
Comment alors choisir convenablement les régions de communications racinaires, autrement appelé simplement « point d’acupuncture », « point de transport » ou de manière surprenante « point shu antique », et surtout quelle(s) technique(s) de puncture y appliquer ?
Il serait légitime de supposer que l’expérience empirique accumulée par les médecins au fil des siècles suffirait à déterminer de manière logique et rationnelle les points d’acupuncture appropriés pour le traitement des pathologies. Cependant, cette hypothèse a elle seule est erronée, comme le démontre l’ensemble de cet article. Celui-ci met en évidence la relation intrinsèque entre la respiration yin yang des zàng et la circulation sanguine correcte au sein des structures vasculaires, notamment au niveau des quatre barrières. Ce lien étroit est comparable à celui qui unit la physiologie d’une racine à celle de sa branche. Cette relation bidirectionnelle, comme évoqué précédemment dans cet article, encourage une palpation précise et une observation minutieuse des zones de communication racinaires (本輸 běnshū). L’enseignement du regretté Dr 王居易 Wáng Jū Yì revêt ainsi une importance capitale. Non seulement la modification de la respiration yin yang d’un organe entraîne-t-elle une altération de la physiologie de son bassin versant, en particulier au niveau de ces zones de communications racinaires 本輸 běnshū, mais toute modification de ces dernières, par exemple suite à un traumatisme, engendrera une perturbation de l’organe concerné. Dans les deux situations, il conviendra de normaliser la circulation correcte dans les vaisseaux, en rétablissant l’écologie du bassin versant et ainsi corriger la fonction racinaire (藏 zàng). Ainsi, l’évaluation de ces zones nous fournit une information directe sur les phases respiratoires saisonnières des organes internes.

Sur la photo, nous voyons la région 陽陵泉 Yánglíngquán (direction ouest), située sous la tête de la fibula. Il est effectivement aisé d’observer une stagnation de sang dans les rivières collatérales (絡脈 luò mài) associé à une sensation de froid perçue à la palpation.
Deux techniques ont été utilisé dans ce cas (qui ne sont pas illustrés en totalité sur la photo) pour rétablir la physiologie correcte de cette région de communication racinaire du bassin versant shàoyáng de pied :
Yángcì 揚刺: Insérer une aiguille directement au centre et quatre aiguilles superficiellement sur les côtés, afin de traiter le froid à un niveau moyen.
Luòcì 絡刺 : Piquer les vaisseaux sanguins (xuèmài) des petits collatéraux (xiǎoluò) pour expulser le sang et libérer la circulation.
La normalisation de la physiologie circulatoire dans cette région contribue à la régulation de la direction métal de la respiration de la vésicule biliaire.
Conclusion
L’analyse des 本输穴 běn shū xué révèle la cohérence interne de la physiologie classique chinoise. Bien plus qu’un simple système de points ou de repères topographiques, ces régions de communication racinaires reflètent une vision holistique du corps humain, perçu comme un paysage dynamique où circulent et interagissent les circulations vitales. La physiologie décrite dans le Huángdì Nèijīng et le Líng Shū repose sur une analogie structurelle entre les phénomènes célestes, terrestres et organiques : les jīng mài (經脈) y sont assimilés à des rivières et bassins versants, dont la fonction essentielle est de maintenir la cohérence et l’équilibre des écosystèmes tissulaires.
Cette perspective écologique et systémique suppose que toute altération locale se répercute sur l’ensemble du réseau. Ainsi, la stimulation des 本輸穴 běn shū xué ne vise pas à corriger un symptôme isolé, mais à rétablir la respiration saisonnière des zàng 臟. Le praticien ne se contente plus d’agir comme un technicien du point, mais se transforme en jardinier œuvrant à la restauration d’un écosystème local, rétablissant ainsi une harmonie fonctionnelle entre les racines et les branches.
Les traductions sont issues du travail du Dr Edward Neal, avec son autorisation.
感應 (gǎn yìng) : La résonance sympathique (gǎn yìng) désigne un principe fondamental de la cosmologie chinoise ancienne, selon lequel les phénomènes de l’univers — qu’ils soient célestes, terrestres ou humains — sont reliés par des correspondances vibratoires et résonantes. Il ne s’agit pas d’une causalité linéaire au sens occidental du terme, mais d’une co-émergence dynamique fondée sur la sensibilité mutuelle des choses partageant une même qualité.
應 yìng : Dans le Nèijīng, yìng décrit donc l’activité fondamentale par laquelle le corps humain, en tant que système vivant, répond aux modulations du cosmos et s’ajuste continuellement à celles-ci.
Musique céleste : cela fait echo aux mouvements des constellations autour de l'étoile polaire et les résonances qu'elles produisent.
理 (lǐ) : Dans le Huángdì Nèijīng, le terme lǐ apparaît pour désigner les motifs de grainage du vivant, c’est-à-dire les configurations naturelles selon lesquelles s’organisent les flux vitaux, les réseaux vasculaires ou les structures tissulaires. Ces « grains » ou « veines » du corps répondent aux bassins versants de la nature : vallées, rivières, reliefs, dont ils reproduisent les dynamiques internes. Le motif de grainage représente donc l’intelligibilité du vivant, la logique d’organisation spontanée à travers laquelle la matière devient forme, et la forme, fonction.
Géométrie réticulaire : désigne un modèle d’organisation spatiale fondé sur la mise en réseau de structures interconnectées, formant un maillage à la fois régulier et adaptatif. Dans un sens général, il s’agit d’une configuration où les lignes, les nœuds et les intersections définissent un système de relations dynamiques plutôt qu’un ensemble de points isolés. Cette notion permet de décrire l’architecture des luò mài 絡脈, les vaisseaux collatéraux, qui tissent une trame de communication transversale entre les grands axes longitudinaux des jīng mài 經脈.
神明 shén míng : dans la pensée médicale classique, le terme 神明 (shénmíng) désigne littéralement la clarté (míng 明) de l’esprit ou du principe animant (shén 神). Il renvoie à la capacité d’un organisme à manifester l’intelligence vitale qui l’ordonne, à maintenir son intégrité fonctionnelle et à répondre de manière adaptée aux variations de son environnement. Selon l’interprétation du Dr Edward Neal, shénmíng ne doit pas être réduit à une notion spirituelle ou psychologique, mais compris comme un principe de cohérence organisationnelle inhérent à tous les systèmes vivants.
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